TABLOÏD GASTRONOME ET PAYSAN DES RESTAURANTS J’GO

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Et si on passait par  Le J'Go

HOURRA RURAL

Notre époque a remplacé la recherche raisonnable du plaisir par la satisfaction systématique de caprices.

Si tous les clients du J’go ont vu au moins une fois Denis Méliet téter un coin de sa serviette à la fin d’un repas, ou enfoncer compulsivement son index dans l’épaule d’un interlocuteur pour appuyer un argument, tous ne l’ont pas entendu narrer la genèse du J’Go ni déployer son dessein de restauration paysanne durable. Qu’ils se consolent avec la lecture de cet entretien qui se veut pareil au porc Noir de Bigorre : épais, ample, digeste, velu et libre. 

 

 

» Je suis né à Tarbes. J’y suis resté trois jours, et on m’a vite rapatrié à la maison, dans l’Armagnacais, à Lagraulet-du-Gers, lieu-dit Haubelon. Mon enfance, c’est un mélange de souvenirs heureux et de petites fêlures. Mes copains psys me disent que tout se joue dans les premières années. Il faut croire que je ne fais pas exception à la règle. J’ai grandi dans la ferme paternelle, protégé par un cocon de sécurité affective mais exposé à l’extrême dureté du monde rural. J’ai intégré tout gosse le mal qu’avaient les paysans en général, et mes parents en particulier, à gagner leur vie. 

 

» Mon père était passionné par la vigne, et moi j’étais fasciné par mon père. L’hiver, on l’accompagnait dans les rangs. Il nous montrait comment façonner les ceps. Au fil des saisons on voyait la vigne pousser, puis arriver le temps des vendanges. Alors le jus se mettait à couler, à fermenter, et enfin le vin partait pour faire de l’armagnac. Mon père a passé 20 ans à galérer, à améliorer    son vignoble, avec de plus en plus d’investissement, tout ça pour un prix de vente qui stagnait. 

 

» J’avais 7 ou 8 ans, quand j’ai j’assisté, impuissant, à l’arrivée de l’huissier au premier grain de raisin ramassé. Je n’ai pas tout compris, mais je trouvais ça injuste. Il m’est monté une sorte de rage, de colère froide. La situation, pourtant, était tue par mes parents, et baignait dans un climat d’amour, dans un solide esprit de famille. Mais cette peur de ne pas y arriver, cette tension permanente, m’ont été inoculées. Quand j’y pense, je me dis que ce n’est pas si mal d’avoir été mis au parfum, tout gosse, que la vie balance inévitablement entre l’amour et les emmerdements. 

 

» Malgré ça, enfant, je voulais quand même devenir paysan. Et puis, mon frère ainé a repris la ferme, et ma sœur et moi avons chopé le virus de la restauration. Aujourd’hui, plus j’avance dans mon métier, plus mon ancrage viscéral au rural est fort.  Si je n’essaie pas de favoriser les paysans qui produisent de belles choses, et si je les traite comme le font la majorité des acteurs de ce secteur, c’est-à-dire en considérant qu’on ne peut pas faire de commerce sans les tordre, alors ce que je fais n’a pas de sens. Pour moi, ne pas permettre aux paysans avec qui je travaille de vivre décemment, ce serait le pêcher absolu.

» Petit, cette envie de travailler la terre était indissociable du plaisir que me procuraient les légumes du jardin, les animaux de la basse-cour, les produits sauvages, les fruits du verger et les odeurs de cuisine. C’est encore très présent en moi. Il suffit que je ferme les 

yeux pour voir ma mère apparaitre au jardin. Je me vois près d’elle. Je suis petit, dans ses jupes. Je pique une fraise, je mange un petit pois cru. Je me revois, et je la revois. Comme si c’était hier. 

 Par Sébastien Vaissière

Denis Meliet

"Moi, je veux bien qu’on me classe dans la catégorie des ploucs." 

Index

  • La cuisine au leurre
  • L’amour du rite
  • Le merdier en amont
  • Tendre est l’ennui
  • Caprice, c’est fini

La cuisine au leurre

 

» Ma mère travaillait à plein temps pour s’occuper de la famille, de la maison, des ouvriers agricoles, de la basse-cour, du potager. De tout sauf du verger, parce que le verger, c’était la chasse gardée de mon père. Elle passait sa vie à cuisiner pour les siens et pour les autres. Et moi, j’étais aux premières loges. Je courais au milieu de tout ça, je patchaquais, je trainais, j’observais, je sentais, j’étudiais, je profitais sans m’en apercevoir, j’emmagasinais sans m’en rendre compte, j’apprenais à mon insu. Quand on me voit cuisiner aujourd’hui, on peut croire que je cuisine à l’instinct. C’est un leurre. Je cuisine au souvenir. 

 

» Les enfants de la famille, on a été éduqués comme ça : autour de la table. Dans la journée, chacun partait de son côté - à l’école, au boulot, ou ailleurs - mais tout le monde convergeait pour le déjeuner et le diner. C’était un grand principe. Même ado, quand je faisais le con avec les copains, j’interrompais toujours ce que j’étais en train de faire à l’heure du déjeuner ou du dîner pour sauter sur ma mob’ et rentrer à la maison. Les bons jours, c’était merveilleux, on apprenait, on partageait, on plaisantait. Les mauvais, quand j’avais fait des conneries, je me faisais rectifier sévère et je passais le repas le nez dans l’assiette. Les engueulades à table étaient comme les gentillesses : distribuées avec intensité !

 

» Bien sûr, quand j’étais vraiment occupé,    je séchais le repas. J’étais un ado comme les autres et j’avais plus envie de liberté que de chou farci. Mais dès que je pouvais, je rentrais. On mangeait tellement bien, à la maison… La preuve, c’est que quand je jouais au rugby, en Minime, j’avais 5 copains. Au début, tous les mercredis, avant l’entraînement, on allait manger les uns   chez les autres à tour de rôle. Après un an   de rugby, un repas sur deux, c’était chez moi. Même les copains préféraient manger chez moi que chez eux. Et moi, j’étais habitué à cette cuisine, qui était à mon goût et qui était merveilleuse. D’ailleurs, je peux le confesser maintenant : ça m’emmerdait de subir la cuisine des autres. 

 

» Notre table vivait avec les saisons. Tout gosse j’ai appris à établir un lien direct entre le moment de l’année et les saveurs de la table. En plus, ma mère magnifiait ça avec une maestria d’enfer. Tout venait du jardin, de la basse-cour, tout avait du sens. Et puis,  il y avait, à la maison, ce sens du cérémonial. On ne faisait rien par-dessus la jambe. On mettait les formes, pour tout. Tiens, si je prends ma première corrida, à Dax, à 7 ans, ça a été tout un cérémonial. On m’avait habillé comme il faut, on est allé déjeuner chez les frères Coussau à Magesq, (une sole aux cèpes). Quel souvenir ! Les maîtres d’hôtel élégants, le champagne à l’apéro… Ça m’a vachement plu tout ça. Et pas simplement pour la mise en scène, mais parce que c’était beau et bon. J’ai certainement gardé de ce sens familial de la sacralisation du quotidien, le goût des choses bien faites, jolies, agréables, satisfaisantes, valorisées et valorisantes.  INDEX

L’amour du rite

 

» C’est un truc qui a longtemps emmerdé mes copains d’ailleurs. À une époque, la famille invitait tout un tas de gens à la maison, pendant la feria de Vic, le lundi de Pentecôte. On était jusqu’à 100. On mettait de grandes nappes blanches et des couverts en argent. Y’avait de grands cendriers, de grandes vasques. Et mes copains me disaient: “Mais t’emmerde pas, mets des trucs en carton, ça ira !”  Et ça, ça me rendait fou, parce que ça me faisait plaisir de les avoir et de leur servir à manger et à boire correctement. Si c’était pour bouffer n’importe quoi dans des assiettes en carton et boire dans des verres en plastique, autant rester dans la rue à Vic, non ? 

 

» Quand mon père travaillait au champ, même chose. S’il avait une course à faire à Gondrin, à Montréal ou Éauze dans la journée, il montait, il prenait une petite douche, il mettait un pantalon nickel et une belle chemise… Je ne l’ai jamais vu sortir autrement. Moi, par contre, j’étais capable de sortir habillé comme une peille, et ça l’agaçait prodigieusement. 

 

» Il faut quand même que je tempère mes propos : le rite, la saison, la sacralisation, tout ça, ce n’est pas simplement une marque de fabrique familiale. C’est très gascon, en réalité. Et c’est ce qui fait des Gascons des amoureux des rassemblements, des fêtes… La fête, c’est constitutif du Gascon. Pour apprécier le calme, la pondération et l’intelligence, il fait savoir abuser du tumulte, de l’excès et de la connerie. Voilà ce que c’est, pour moi, la fête. Le bruit avant le silence, l’excès avant la retenue, la connerie avant la réflexion. J’aime ça. On mange beaucoup. On boit beaucoup. On rit beaucoup. On se fout de tout et surtout de soi-même. Et on le fait de façon récurrente, pour ne pas être trop triste quand ça s’arrête. C’est beaucoup plus intense humainement qu’on croit. C’est une manière de rite. Un moyen de donner à la vie un rythme complémentaire à celui des saisons.   INDEX

Le merdier en amont

 

» Mes parents sont venus à la restauration par hasard… et par civisme. Un jour, au début des années 1970, le maire de Lagraulet a tapé à la porte. À l’époque il y avait un village de vacances dans la commune. On devait y accueillir cette année-là plusieurs séminaires d’une semaine, avec chaque direction régionale du Crédit Agricole. Un gros machin. Et pour une raison que j’ai oubliée, le maire s’est retrouvé sans cuisinier, alors qu’il était censé assurer les deux repas quotidiens. Il a insisté pour que mes parents prennent ces repas en charge. Il savait que ma mère cuisinait bien et qu’elle était habituée aux grandes tablées. Mes parents ont fini par accepter. Ils faisaient partie de ce village et ont voulu rendre service à leur commune. Et puis c’était une entrée d’argent supplémentaire, ce qui n’était pas du luxe. 

 

» Au début, tout sortait de la ferme familiale et de sa basse-cour. Ma mère cuisinait comme elle le faisait pour sa famille, mais à grande échelle. Elle n’a d’ailleurs jamais changé de façon de faire. Et c’était tellement bon, à ce qu’on raconte, que ceux qui y étaient m’en parlent encore aujourd’hui. Dans la salle, comme il y avait plus de places que de membres du séminaire, ils ont ouvert la table à tout le monde, et c’est devenu un restaurant. Ça a été de grands moments je crois, pour mes parents et leurs convives. De grands moments autour de grandes bouteilles et de grands plats. Le jour, mon père travaillait à la ferme. À midi et le soir il était au service, et ma mère orchestrait tout ça avec une grande classe. 

 

» Après Lagraulet, mes parents ont eu d’autres restaurants, notamment le Moulin du Pouy à Éauze, jusqu’à ce qu’on leur propose de reprendre la Table des Cordeliers à Condom en 1987. J’avais 21 ans et je travaillais déjà à temps plein pour mes parents depuis l’année du bac, que j’avais loupé d’ailleurs, dans les grandes largeurs. Le soir des résultats, j’ai pris une grosse cuite, et lendemain je me suis réveillé lucide. Je me suis dit : “Feu ! tu te lances dans la restauration”. C’était violent, parce que pendant que mes copains vivaient comme des étudiants, moi, je bossais comme un fou. En contrepartie j’étais autonome, j’emmenais mes copines en voyage, je faisais les grands restos. Je vivais une vie conforme à ce que conseillait mon arrière-grand-mère, qui nous disait toujours : “Surtout, soyez différents !”.   

 

» J’ai appris le métier en observant mes parents. J’ai pigé assez vite la mécanique de la restauration. Après avoir longtemps profité du bonheur d’être à table, j’ai découvert tout le merdier qu’il y a en amont. Peler les légumes, couper la viande, mijoter, rôtir, cuisiner, assaisonner… et la vaisselle qui s’entasse, et qu’on lave et qui revient dégueulasse et qu’il faut laver encore. Un bordel sans fin. Avant que les gens prennent leur pied à table, il y a tellement de travail de conception et de cuisine, qu’au moment où arrivent les premiers sourires, les premiers signes de plaisir, les premières attitudes positives, on ressent une satisfaction indescriptible. 

 

» Avec le recul, je m’aperçois que d’instinct, mes parents pratiquaient une restauration durable, et utilisaient les restes du resto    pour nourrir les cochons qui nourrissaient ensuite leurs clients. Ça me plaisait bien ce mélange entre esprit de commerce et esprit paysan, entre l’arrière-cuisine et les champs. Et même si je voyais que la restauration, c’était galère, je trouvais que c’était plus confortable que de jouer ses revenus de l’année sur une récolte, comme c’est le cas pour les paysans. Alors de fil en aiguille, par goût et par commodité, j’ai abandonné mes aspirations paysannes pour me lancer à corps perdu dans la restauration.    INDEX

Tendre est l’ennui

 

» À la fin des années 1980, comme on galérait un peu pour trouver des clients, mon père a insisté pour aller là où les clients se trouvaient, c’est-à-dire en ville. Son idée, c’était de créer un restaurant autour d’un plat unique. On a cherché à Bordeaux, à Montpellier et à Biarritz. Finalement on a atterri à Toulouse place Wilson, et on a ouvert Le bon vivre, où on ne servait au début que des pot-au-feu arrosés de saint-mont. Fin 1995, en créant le J’Go, j’ai moi aussi voulu faire un resto de plat unique avec le gigot haricots, traditionnel chez nous, et le pastifret en entrée, une spécialité familiale. 

 

» Et puis, très vite, j’ai compris qu’en ne cuisinant que du gigot, je pesais sur les paysans au lieu de leur apporter des solutions. J’en ai pris conscience quand notre fournisseur d’agneau a augmenté subitement ses prix. Je lui ai dit : “Avec tout ce que je te prends, tu m’augmentes les tarifs !” Il m’a expliqué qu’il achetait les agneaux entiers, et qu’il avait du mal à écouler les autres parties de la bête. Quelle claque ! Je croyais défendre la philosophie paysanne familiale, je participais en réalité à la surproduction. Ça m’a pété à la gueule. Je faisais le contraire de ce qu’il fallait… Sans parler du fait du fait qu’on était pris par l’ennui. On devenait de simples commerçants, et on allait mourir d’ennui dans notre commerce. Dans l’excitation de la création d’un lieu et dans l’attente des clients, il y a un plaisir fantastique, une adrénaline incroyable. Et après ? Après on s’ennuie. On ne raconte plus d’histoire, on ne défend plus rien ni personne. On gère piteusement de la croissance et de la rentabilité. 

 

» Alors, j’ai décidé d’expérimenter des plats sur les autres pièces d’agneau. J’ai fait le tour de France pour trouver des animaux entiers. On a basculé en achetant les agneaux fermiers du Quercy, puis en élargissant le principe à toutes les autres viandes et à tous les produits. On était, dès la fin des années 1990, 100% maison, 100% locavore, 100% main dans la main avec les paysans. On avait déjà le souci du durable, de la protection de l’environnement, mais ça, la société s’en foutait pas mal à l’époque. Ce qui faisait le succès du J’Go, c’était la ripaille et la bringue, et c’était déjà pas mal. 

 

» Ce qu’on appelle aujourd’hui pompeusement entre nous la “méthode J’Go”, a pris un tour plus net avec la renaissance du porc Noir de Bigorre. En travaillant des porcs noirs entiers, on est revenus à l’essence paysanne de l’alimentation. Dans les familles rurales, il n’y a aucun gaspillage, aucune perte. Adapter ça à la restauration, c’était un défi passionnant. Risqué, mais qui a du sens. Il impose d’être plus créatif, plus malin, mais quel plaisir quand on y arrive ! C’est là que j’ai compris le potentiel qu’on avait, en tant que commerçants de centre-ville, à transformer cette ressource en revenu pour nous et pour les paysans, et en plaisir pour les clients. L’arrivée du Noir de Bigorre a donné une réalité à la philosophie du J’Go parce qu’il s’agissait, pour les défenseurs de cette race, de sauver une culture, de revaloriser le gras donc le goût, de lutter contre les idées reçues, et de rendre moderne un animal abandonné par les anciens, délaissé parce que pas assez productif pour l’industrie, et moqué parce que de tradition paysanne. D’où la fierté ressentie par les gars du J’Go et ceux du consortium du Noir de Bigorre, quand on a suspendu 150 jambons de ce cochon magnifique au plafond du J’Go de Saint-Germain-des-Prés…   INDEX

Caprice, c’est fini

 

» S’approvisionner exclusivement auprès de paysans indépendants, payer les produits en fonction du travail nécessaire à leur culture et pas en fonction des cours du marché, refuser de servir des légumes qui ne sont pas de saison, respecter les gens, les rythmes et les choses, introduire des principes nutritionnels dans les menus, fabriquer des charcuteries moins salées, être le plus transparent possible, privilégier les bons gras, s’intéresser à la fertilité des sols, à la gestion des déchets, c’est devenu le b-a ba du J’Go. Notre façon de contester cette époque qui veut tout, tout de suite, tout le temps et en grande quantité. Tendance qui a conduit une partie du monde agricole à des modes de production contrenature, et donc, contre la nature. L’époque a remplacé la recherche du plaisir par la satisfaction systématique des caprices. Si on fait bien attention, on s’aperçoit que derrière chaque décision contrenature, contre les saisons, contre le bon sens paysan, il n’y a jamais la quête du plaisir, mais toujours la satisfaction d’un caprice. 

 

» C’est pour ça que depuis ces dernières années, le J’GO a fait sa révolution dans l’assiette. Avec Régis Daudignan, le chef cuisinier historique de la famille, et Olivier Mongabure, l’âme du J’GO depuis sa création, on s’est aperçus que notre conception familiale de la restauration suggérait, en particulier dans le dressage, une qualité bien inférieure à la réalité. Le haricot tarbais, par exemple, cette légumineuse aux qualités nutritionnelles et gustatives exceptionnelles, était jusqu’alors servie à la louche à volonté. On laissait penser que c’était un haricot comme un autre. Et il en était de même pour tous les produits exceptionnels qu’on servait. On a travaillé les dressages, étudié les portions idéales, potassé l’équilibre nutritionnel, la satiété, la digestibilité… et comme par miracle, le travail de fond qu’on faisait depuis 15 ans est apparu clairement aux yeux de nos convives. Et instantanément s’est formé un petit noyau de clients qui se sont mis à fréquenter le J’Go par conviction autant que par habitude. En intensifiant cette dimension-là, on pourrait faire avancer des choses à notre échelle, tenter des coups, travailler sur toute la chaîne. Le concept de la fourche à la fourchette ne suffit plus. Il faut partir du sol qui accueille la graine, et aller jusqu’au traitement du déchet, le tout en essayant d’avoir un impact positif sur l’environnement. 

Sol au monde

 

» Il y a, autour de nous, tout un tas de paysans qui sont sortis de l’idée de la protection de la nature, et qui veulent travailler à sa réparation. Andrew Cœcup, le paysan-boulanger qui fait le pain pour le J’Go Toulouse, dit souvent qu’il veut laisser en partant un sol en meilleur état qu’il ne l’a trouvé en arrivant. J’aime cette idée, même si on me rétorque généralement quand je l’avance, que ce n’est pas avec ce genre de bons sentiments qu’on peut nourrir la planète. Je ne vais pas rentrer dans ce débat, parce que je veux rester à ma place. Mais ce que je peux dire, c’est qu’à notre petite échelle, on travaille avec certains paysans à produire sans nuire à l’environnement (voire en régénérant les sols et en captant plus de CO2 qu’on n’en émet), avec une productivité très supérieure à ce qu’on pourrait attendre. 

 

» Et puis, le J’Go n’a pas l’intention de nourrir la planète. Qui l’a, d’ailleurs ? On veut nourrir les gens qui sont à proximité, avec des produits des terroirs du grand Sud-Ouest. Et ce n’est pas si idiot que ça d’ailleurs, comme idée. Parfois, ce qui est bon pour un habitant d’une région du monde ne l’est pas pour les autres. Les Scandinaves tolèrent mieux le lactose que les européens du Sud, les Asiatiques tolèrent mieux le soja que nous. Les habitudes alimentaires ont mis des millénaires à bouger. On ne peut pas, sans dégâts, les bouleverser en 20 ans. Pourquoi, à l’heure où tout le monde n’a que le mot durable à la bouche, vouloir faire manger au monde entier la même chose ? Ça n’a pas de sens. L’industrie, les grandes chaînes, les plats cuisinés industriels, tout ça a poussé sur le terreau de l’illusion du progrès. Le monde entier a considéré que les repas industriels prêts en 3 minutes, c’était le progrès, que la standardisation de la nourriture, c’était l’avenir, que les fraises en hiver, c’était moderne, et que l’industrialisation du goût, c’était l’avenir. Mais l’avenir, ce sont les ressources locales, l’avenir c’est le durable, la préservation du bien commun. Les has been véritables sont ceux qui pensent le contraire. Les vrais ploucs, en fin de compte, c’est eux. Ils existent, ils vont garder un peu leur mainmise sur le monde, mais ça n’aura qu’un temps parce que ça n’a pas de sens. Je ne sais pas si c’est militant que de le dire, je ne sais pas si c’est politique, je ne sais pas si c’est engagé. Je ne connais pas le mot qui convient. Mais ce qui est sûr c’est qu’on va s’y filer à 200%. Notre objectif au J’Go, c’est d’arriver le plus vite possible à donner du plaisir aux gens, y compris dans l’excès, tout en assurant une vie décente aux paysans. Le tout via des pratiques agricoles qui améliorent davantage l’environnement qu’elles ne l’impactent. Si on y parvient, on aura le sentiment de participer à quelque chose de noble et de plus grand que nous. Ce qui est quand même le moins qu’on puisse faire pour rendre aux terroirs gascons ce qu’ils nous ont offert. Le tout en restant différents des autres… et donc fidèles à la consigne de mon arrière-grand-mère. »  HAUT DE PAGE

“ J’encourage les jeunes à devenir paysan. Je ne connais pas d’autre métier qui offre autant de liberté. ”

 Jean-Luc Garbage, maraîcher

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